The Grand Mercurial Hall : D’un tableau Pinterest à la réalité

“Ça faisait longtemps que tu cherchais ?”

That’s the thing. Je ne cherchais pas.

Certes, j’en rêvais. Depuis des années. Je collectionnais des photos de maisons victoriennes, de petits porches d’entrée ornés de belles moulures et leurs escaliers carrelés façon damier, de bow-windows illuminés par des décorations de Noël… A l’américaine—voire à l’anglaise—bien comme il faut. Bien comme j’aime. Je conservais ces photos dans un tableau Pinterest dédié, un peu comme un vision board, qu’en toute franchise, je n’osais plus tellement parcourir. Plus je prenais de l’âge, plus ces clichés devenaient le reflet d’une précieuse rêverie qu’on préfère garder cachée dans un coin de notre tête pour ne pas trop l’abîmer.

Il fallait que je me rendre à l’évidence que dans la réalité, je n’étais qu’une femme seule et toujours célibataire, prête à souffler ses 30 bougies, sans économies, et qui n’aime pas vraiment travailler… Bref, le genre de femme aux idées contradictoires : j’aime le luxe et les belles choses, et pourtant, je ne m’acharnerai jamais au travail afin de pouvoir les obtenir. En d’autres termes, je n’excellais pas (et n’excellerai jamais) financièrement dans une société capitaliste comme la notre.

J’étais sans perspective immédiate d’investir dans quoi que ce soit. Acheter une maison, qui plus est une maison quatre façades située dans un chic quartier de Charleroi, c’était un rêve lointain. Presque irréel. Une promesse que je m’étais faite pour plus tard, sans même être sûre de pouvoir la tenir, cette promesse.

Et surtout sans savoir que “plus tard”, pour l’Univers, c’était maintenant.

De la manière la plus aléatoire qui soit, la maison de mes rêves m’a trouvée. Et je ne dis pas ça pour dramatiser ce récit. Cette maison s’est littéralement manifestée devant moi, via l’écran de mon smartphone, pour me subjuguer.

Il n’y a pas que des hasards, dans la vie…

C’était un dimanche matin d’automne. Je m’étais éveillée bien plus tôt qu’à mes heures de réveil habituelles le week-end, aux alentours de 6 heures du matin. Au programme pour le petit-déj’, une bonne session scrolling de mon fil d’actualité Facebook, sans chercher ni penser à rien d’important. Jusqu’à ce que l’appli fasse aller de sa magie (merci au hasard ou à l’algorithme ?) et mette en avant la publication d’une agence immobilière qui, un jour ou deux auparavant, mettait cette magnifique maison en vente. Une maison qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celles que j’ai passé toutes ces années à épingler sur mes vision boards. Celle dont j’allais devenir, contre toute attente, propriétaire.

J’ai cliqué sur l’annonce. Au début, c’était de la simple curiosité. J’étais bien consciente de l’état de mes finances, et acheter une maison n’était carrément pas envisageable. Même si le prix de vente n’était annoncé qu’à partir de 130.000 €. (En d’autres termes, presque gratuit.) D’ailleurs, quand j’ai vu l’annonce et que je l’ai partagée avec ma soeur et mon père dans l’unique but de leur montrer à quel point la maison était mignonne, l’éventualité de l’acheter ne m’a même pas traversé l’esprit. C’est plutôt ma soeur qui m’a poussée à aller la visiter. Ce, malgré l’annonce qui disait en gros et en gras : “à rénover entièrement”.

Du coup, c’est ce que j’ai fait. 

Après avoir parcouru l’annonce et examiné ses photos une dizaine de fois, j’ai fini par attraper mes clés de voiture pour m’y rendre. Un dimanche matin, sous un ciel tout gris, une atmosphère humide, et le regard confus de ma mère qui se demande où je m’aventure si tôt dans la journée. Je pense être restée là, à contempler l’extérieur de la maison, durant au moins deux heures. Deux heures à admirer sa façade et ses minutieux détails architecturaux, à faire les 400 pas dans le jardin, à jeter quelques coups d’oeil à travers la saleté des vitres et les rideaux déchirés—que je devinais blanc à l’époque, sûrement jaunis par le temps—pour tenter d’apercevoir son antre… Deux heures à me projeter.

J’ai alarmé tout le monde : ma famille, mes amis… Je leur ai envoyé des photos, en ai appelé plus d’un en vidéo… J’avais trouvé une pépite et j’avais besoin que mes proches me le confirme : cette maison semblait faite pour moi. Les pensées ont alors commencé à tourbillonner dans ma tête : Mais après, quoi? Si elle est faite pour moi, que suis-je censée faire?

La première chose à faire, évidemment, c’était de visiter l’intérieur. Car d’après les photos, son état n’avait pas l’air d’être un cadeau. En rentrant chez moi ce matin-là, je me suis empressée d’envoyer un email à l’agence, dans lequel je ne me suis pas privée d’exprimer tout l’enthousiasme ainsi que la hâte que je ressentais pour ce bien. On me conseille toujours de ne pas montrer d’émotions dans des situations comme celle-là, c’est mauvais pour les négociations. Mais j’y peux rien, moi. Je suis comme ça, je suis entière. Ca passe ou ça casse. Je les ai supplié de me laisser visiter la maison dès le lendemain, craignant de ne pas être en mesure de la visiter du tout ; je m’envolais pour Toronto le mardi pour une semaine, et j’étais sûre que la maison ne m’attendrait pas tout ce temps. Une opportunité comme celle-là, on la saisit ou on la rate.

Merci les amis, merci la famille, merci la vie

Vu mon planning serré, et mon email visiblement convaincant, j’ai été privilégiée sur une liste d’environ trente intéressés. Le lundi matin, l’agent immobilier m’accordait une faveur et acceptait de me faire visiter la maison en avant-première le soir-même. Les autres potentiels acheteurs ne pourraient se rendre sur place que le jeudi suivant : le seul et unique jour de visite.

Généralement, quand on organise un événement en dernière minute, c’est toujours compliqué de faire convenir les agendas de tous. Et bizarrement, ce matin-là, quand j’ai ameuté presqu’une équipe de foot pour m’accompagner visiter la maison, tous les proches que j’ai contactés étaient disponibles—à l’exception de ma soeur. Ma mère, mon père, ma tante, ma cousine et sa fille. Et surtout, Caroline et Julien, des connaissances de longue date tous deux diplômés en architecture, fondateurs de CO.AL Architecture + Interior Design, avec qui je tenais particulièrement à bosser sur la rénovation de la maison. A croire que le hasard fait effectivement bien les choses.

Je ne sais pas s’il était simplement question de curiosité, voir à quoi la maison ressemblait, dans quel quartier elle se trouvait, ou d’un véritable sentiment d’amour et de soutien, mais les voir tous se réunir à la maison avec moi, ça m’a vraiment fait quelque chose. Pendant qu’eux inspectaient sérieusement les moindres détails, du sol jusqu’au plafond, et posaient leurs questions à l’agent, moi, je courais et sautillais partout comme une enfant. J’en ai d’ailleurs perdu mes airpods.

C’était l’euphorie. Une sensation bizarre de reconnaître un endroit où je n’avais pourtant jamais mis les pieds. C’était comme une sorte de déjà-vu. Je m’étais tellement projetée, j’entendais presque mon salon s’installer devant la cheminée et nos soirées s’éterniser avec mes neveux devant la télé. Mon bureau s’installer à l’étage et mes livres prendre possession des étagères... Je voyais presque mes matins s’épanouir dans ma grande cuisine blanche décorée de ses belles moulures, ses corniches et ses poignées dorées.

Une fois la visite terminée, nous sommes tous restés devant la maison à discuter pendant un long moment, jusqu’à ce que le soleil se couche complètement. Je pense que je garderai cet instant en mémoire encore longtemps tant il m’a fait chaud au coeur. C’était comme si je raccompagnais mes invités après une fête à la maison. Mes invités qui trainaient à prendre la route et que je trainais à laisser partir parce qu’on a l’impression d’être sur un petit nuage. On est là, ensemble, chez moi, et on se sent bien. On se sent heureux. 

La maison était clairement loin d’être parfaite. Mais à ce moment-là, elle représentait pour moi tout ce qu’il y a de plus élégant et d’éloquent en architecture. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. Je ne me suis pas encore entendue dire d’autres maisons qu’elles étaient plus jolies que la mienne, ou me dire que j’ai peut-être fait une erreur. Elle était tout ce dont j’ai toujours rêvé.

Quelques jours plus tard (ressenti : des semaines—que c’est long d’attendre une réponse comme celle-là), l’agent m’annonce que la maison est pour moi. Parce que mon offre est la meilleure. Mais aussi parce que ma passion est la plus forte et la plus sincère.

Une histoire de loi d’attraction, peut-être…

Il y a des instants dans la vie où tout semble s’emboîter avec une parfaite précision. On regarde autour de soi, un peu hébété, un peu ému, en se demandant comment toutes les pièces du puzzle ont bien pu se mettre en place sans qu’on s’en aperçoive. On ressent un mélange de vertige et de gratitude, comme si l’univers avait répondu à une demande que l’on avait à peine osé formuler. Peut-être n’était-ce pas un hasard, après tout. Peut-être que le fait que tout s’aligne aussi naturellement relevait moins de la chance que d’un enchaînement de désirs posés, d’intuitions suivies, d’intentions formulées sans en avoir l’air.

Car en y réfléchissant, je me suis rappelée d’un détail important. Quelques mois auparavant, j’ai confié à une amie lors d’une ballade dans sa ville que j’adorerais vivre dans un quartier comme celui dans lequel nous nous trouvions : paisible, lumineux, un peu en retrait, avec ce charme de l’entre-deux : ville et campagne, passé et promesses. Et devinez quoi? La maison (que je n’avais absolument pas vue à ce moment-là) se trouve exactement dans ce même quartier. Nous n’étions à l’époque qu’à quelques mètres l’une de l’autre, et on s’attirait déjà.

Et si on veut aller plus profondément dans l’analyse, ces deux dernières années, je n’arrêtais pas de répéter à qui voulait bien l’entendre qu’il fallait absolument que j’achète un bien avant mes 30 ans. Pas pour cocher une case, loin de là. Mais pour ne pas porter un crédit hypothécaire jusqu’à mes 60 ans. Acheter après 30 ans, à mes oreilles, ça sonne plus comme un fardeau qu’un bon investissement.

Et puis, il y a cette situation où je me trouvais sans économies. Mais pour la première fois de leur vie, mes parents—qui ont toujours connu les fins de mois compliquées—étaient en mesure de m’aider financièrement. Jamais n’aurais cru pouvoir demander une telle somme à prêter à mes parents pour que leur fille puisse investir pour elle-même. C’était inédit. Fragile. Précieux. Une forme de réparation douce, transgénérationnelle…silencieuse mais immense.

A l’avenir, si on me repose la question : « Ça faisait longtemps que tu cherchais ? », je répondrai toujours que non. Qu’en fait, je ne cherchais pas. Mais ce dont je suis sûre, c’est que cette maison, elle, elle m’a trouvée.

The Grand Mercurial Hall : lui donner un nom, c’est la faire exister 

Très vite, j’ai su que je ne voulais pas qu’elle soit juste un endroit où vivre. Je voulais qu’elle raconte une histoire. Qu’elle ait un nom. Un vrai. Un nom qui résonne, qui m’ancre, qui m’inspire.

Après des jours de réflexion, de listes griffonnées dans mes carnets, de mots murmurés à voix basse dans ses couloirs vides… elle est devenue The Grand Mercurial Hall.

Ce nom ne m’est pas venu par hasard. Il m’est venu comme une évidence.

Je suis Gémeaux. Un signe d’air, gouverné par Mercure—la planète de la communication, de l’intellect, du mouvement, de l’imagination. Mercure, c’est le messager, le voyageur des mondes intérieurs, celui qui va, qui revient, qui observe, qui transforme. Et moi, je suis profondément mercurienne. Mon esprit papillonne, écrit, rêve, doute, revient, questionne encore. J’habite dans les mots avant d’habiter les murs.

Mercurial, c’est cette nature fluide, insaisissable parfois, mais toujours en quête. C’est mon besoin d’explorer, d’exprimer, de créer. C’est cette part de moi qui écrit à la lueur d’une lampe, qui refait mille fois le même paragraphe pour toucher juste, qui cherche toujours une vérité dans le détail.
C’est aussi ce que je cherche à offrir aux autres : des espaces de réflexion, d’inspiration, de mouvement intérieur.

Et Hall, parce qu’une maison n’est pas qu’un abri. C’est un lieu de passage, de transformation. Un hall d’entrée vers soi. Un endroit où l’on invite, où l’on traverse, où l’on s’arrête aussi, parfois, pour contempler. Un endroit pour les voix, pour les silences, pour les métamorphoses lentes.

The Grand Mercurial Hall, c’est mon sanctuaire et mon atelier. Mon abri et ma projection. Un lieu vivant, mouvant, lumineux, mystérieux parfois. Un lieu de mots, de musique intérieure, de rêveries suspendues. Un lieu où ma créativité peut prendre toute la place qu’elle mérite.

Ce n’est pas une grande maison. Les plafonds ne sont pas immenses, et certaines pièces ont ce charme légèrement bancal des choses qui ont vécu. Mais c’est là toute sa beauté. Elle est imparfaite, comme moi. Un peu fragile, parfois. Mais toujours debout.

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[Chapter I] Coping With (Borderline) Personality Disorder: How Pop Culture Impacts My Sense Of Self